D-DayNews

05 avril 2006

DOSSIER: France et Etats-Unis, ou l'alliance mi-feu mi-argent de deux "grands"


Petit retour en mémoire, direction Evian en juin 2003. Alors que George W. Bush arrive à l'Hôtel Royal, pour la rencontre au sommet du G8, où Jacques Chirac joue les amphitryons, personne ne sait vraiment quel avenir se dégage. Les relations entre Paris et Washington sont de l'ordre du phatique , l'atmosphère est glaciale. En mars, les Américains avaient envahi l'Irak, la France était porte parole de l'opposition. A Washington, on avance qu'elle a "orchestré cette opposition".
Le plus symbolique de tous les actes de la résistance anti-Américaine reste l'œuvre de Dominique de Villepin, lors de son discours à l'ONU, le 14 février 2003. Les Français y ont vu du panache, les Américains une trahison. Outre-Atlantique, le french bashing (la campagne de dénigrement organisée, selon Paris) a fait de la relation bilatérale un champ de ruines.

Aux alentours de la mi-avril, la première phase de la guerre terminée, Condoleezza Rice, alors conseillère pour la sécurité nationale, déclinait une offre française d'aide à la pacification de l'Irak. Pour elle, le monde se divisait en deux camps : ceux qui avaient participé à l'invasion Américaine et ceux restés en dehors. Ceux-là, qu'ils y restent. La presse, pour dévoiler l'ampleur de la trahison lui prêtait cette phrase : "Ignorer l'Allemagne, pardonner à la Russie, punir la France."

A Evian, la rencontre entre les deux protagonistes débutait, sous les nombreux yeux affamés des journalistes. Les deux présidents se jaugeaient, d'abord, hésitant sur la posture à adopter. Les collaborateurs retenaient leur souffle, scrutaient les visages. Quand soudain, les deux hommes se levèrent. La poignée de main fut énergique. "Il fallait renouer", commente un témoin, dont la pensée reflétait certainement celle de la majorité des Américains, de leurs alliés et de leurs opposants. Dès cet instant, il fallait remonter la pente.

La magie de l'écriture réside en ce pouvoir de se manifester quand bon nous semble. Alors sans aucune gêne pratiquons l'ellypse, qui nous permet d'omettre quelques années de cette histoire, pour se retrouver trois ans plus tard quand l'ambassadeur américain à Paris, Craig Stapleton, qualifie les relations entre les deux états de "normales". Compte tenu de l'état exécrable dans lequel elles étaient plongées, ceci relève de l'exploit. Plus inspiré, un chroniqueur diplomatique réputé, David Ignatius, décerne à M. Chirac dans le Washington Post le titre de "meilleur allié de Bush". Toutes les cinq à six semaines, raconte-t-on de source française, Maurice Gourdault-Montagne, le conseiller diplomatique de Jacques Chirac, atterrit à Washington, où il est désormais reçu à bras ouverts. Au Conseil de sécurité de l'ONU, sur le dossier iranien, la France et les Etats-Unis font face, unis, à la Chine et à la Russie, "qui jouent aujourd'hui le rôle qu'occupait la France dans le dossier "Irak".
"C'est un retournement remarquable", relève Philip Gordon, expert des relations transatlantiques à la Brookings Institution

Par ailleurs, il explique comment s'est opéré cet incroyable retournement, souligant que les deux nations ont tendance à s'en attribuer le mérite: "La France et les Etats-Unis sont allés jusqu'au bord du précipice. Puis ils ont regardé au fond et ils n'ont pas aimé ce qu'ils ont vu. L'histoire du rapprochement franco-américain est une histoire de raison et de nécessité, d'intérêts partagés, d'habileté personnelle et d'opportunités diplomatiques. On ne trouvera ni amour ni passion dans cette affaire-là. Le temps des envolées lyriques est révolu."

Cest en 2004 que notre histoire prendra fin, même si en réalité l'union fragile Franco-Américaine continue sa route.
En 2004, où l'ambiance est plus amène, en juin, en Normandie, lors des cérémonies du soixantième anniversaire du Débarquement.
Au Quai d'Orsay, M. de Villepin fut remplacé par Michel Barnier, plus inoffensif. Entre-temps, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont lancé une initiative en direction de l'Iran pour éviter un dérapage du dossier nucléaire, mais elle donne aussi du temps à l'administration Bush, qui n'a pas encore arrêté son choix face à Téhéran.

Le Liban devient alors le socle du rapprochement des deux nations. Le 17 août, après avoir fait un point téléphonique avec le président Chirac, M. Gourdault-Montagne appelle Mme Rice et lui propose de venir la voir. Elle saisit la balle au bond : "Venez donc déjeuner !" Le Français saute dans un avion et présente à son interlocutrice un projet de résolution sur le retrait des troupes syriennes du Liban. Cela deviendra la résolution 1559, votée le 2 septembre 2004 à l'ONU. La finalisation du texte se déroule sur le portable de Mme Rice, qui sort à plusieurs reprises de la convention du Parti républicain, à New York, pour téléphoner. L'Elysée tient Mme Rice informée d'une tentative syrienne de diviser les Européens. "Les Américains ont été étonnés de cette loyauté", relate un responsable français. Encouragés, les Français gardent le contact, relayés à Washington par leur ambassadeur, le très actif Jean-David Lévitte.

Dans la capitale fédérale, un tournant se dessine, qui va considérablement aider le jeu français. George Bush réélu, mais en difficulté en Irak, veut se rapprocher des alliés européens. L'heure de la diplomatie a sonné.



Maxime Plaisantin